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08/10/2019

« En-quête » de lieux-tiers 2/2 : l’émergence de nouveaux territoires de travail pour entrepreneurs 3.0

« En-quête » de lieux-tiers 2/2 : l’émergence de nouveaux territoires de travail pour entrepreneurs 3.0

 

Socrate annonçait déjà le Coworking et prédisait l’avènement des tribus modernes. Comment un ‘écosystème catalyst’  forge du collectif et favorise la métamorphose.

 

Le développement croissant de l’entrepreneuriat 3.0 a favorisé l’apparition de nouvelles pratiques de travail. Parmi-elles, l’utilisation d’espaces collaboratifs modulables à destination des travailleurs indépendants et des télétravailleurs. S’ils sont le signe de changements repérables, nous avons voulu savoir comment ils répondent aux besoins des entrepreneurs de forger du collectif.

 

Socrate et l’être social

Considérés comme travailleurs « nomades »[1] du fait de l’absence de bureau fixe, l’entrepreneur, n’échappe pas à cette loi de la nature qui lui conseille dans un monde connecté de ne pas rester isolé. Socrate l’affirmait dans son « Politique » : l’homme est d’abord un être social qui devient homme parmi les autres et développe son potentiel en se réalisant dans un contexte social. Ce postulat antique irrigue jusqu’au cœur de la philosophie Ubuntu en Afrique du Sud qui affirme que : « Nous sommes ce que nous sommes grâce à ce que les autres sont ». Ainsi les entrepreneurs vont-t-ils, à quelque exception près, préférer s’agréger à un groupe social porteur que rester seul à  ratiociner dans leur fauteuil. Les fondateurs de l’IOT Valley aiment employer le terme de tribu*, pour justifier disent-ils, l’impératif de se rallier à d’autres entrepreneurs et ainsi « mieux chasser en meute ».

Une définition revisitée

L’exotisme de ce mot peut surprendre. Ne répond-il pas à la définition qu’en donne Maurice Godelier[2] ? : Une tribu est une société locale composée d’un ensemble de groupes de parenté, unis par les mêmes principes d’organisation de la vie sociale, les mêmes modes de pensée et parlant la même langue, liés par des mariages répétés et associés dans la défense et l’exploitation des ressources d’un territoire ». A la fin des années 80, le sociologue Michel Maffesoli[3] n’a pas hésité à revisiter ce terme l’appliquant à la réunion de groupes d’initiés rassemblés autour d’une culture et recherchant des émotions  communes. Selon lui, les individus de la société post-moderne étaient en recherche de nouveaux liens sociaux à bâtir. Ce spécialiste des espaces de sociabilité n’a pas manqué d’inspirer le titre de l’ouvrage de Seth Godin[4]. La tribu désigne pour ce manager, à l’aire des réseaux sociaux : « un groupe de personnes connectées entre elles, connectées à un leader et connectées à une idée et bien déterminés à agir pour changer le monde ».

 

La force de la tribu, son empreinte sur le réel

Cette tribu évolutive et protéiforme peut être mobilisée de deux manières : soit virtuellement  grâce à la construction de réseaux sociaux, soit physiquement au sein des espaces collaboratifs qu’elle fréquente en vue de créer des échanges fructueux. Jérémy Dahan, « Ecosystème catalyste » à l’IOT Valley, en est le témoin : « De nombreux projets échouent faute de  trouver les bons partenaires et de faire fonctionner les bonnes interactions. Dans une création d’entreprise, il n’y a que trois manières d’apprendre : la littérature, l’échec et le retour d’expérience. A l’incubateur nous privilégions ce dernier et favorisons pour cela la culture de l’échange et du partage. Tout est pensé en fonction des interactions qui peuvent naitre à tout instant ». Olivier coworker au Village by CA s’en est vite convaincu : « Je n’avais pas forcément pensé à cela au début de mon projet, mais il m’a été conseillé de ne pas rester seul dans mon activité.  Au Village, même si je ne suis pas venu chercher des amis, je bénéficie d’un climat convivial. Faute de temps, je réalise que les relations sont surtout circonscrites aux entrepreneurs à côté desquels je travaille mais il y a vraiment de l’empathie entre nous et le réseau social interne est un facilitateur pour toutes les questions que chacun rencontre ». Tout comme lui, Loïc qui a navigué entre plusieurs coworking était en recherche « d’un lieu pour réseauter et exercer son activité ». « Il est indispensable de trouver le lieu qui portera le mieux les valeurs qui nous corresponde, un lieu où l’on sent que les relations sont positives. Il ne faut pas se leurrer, nous sommes tous consommateurs de notre réseau qui peut être source de prospects mais depuis que je prends des initiatives d’animation dans mon espace, je m’y rends avec beaucoup plus de plaisir ».

Forger du collectif : un esprit, une culture

Forger du collectif est donc pour un entrepreneur non pas tant un désir qu’une nécessité. Louis qui a hébergé son entreprise à l’IOT Valley le souligne : «  L’écosystème de l’incubateur est devenu pertinent à partir du moment où j’ai compris que l’on devait s’entourer de mentors et de conseils, parmi lesquels le cabinet Esprit RH, pour donner, une chance de vie à notre projet. L’entrepreneuriat est une étape longue et difficile, ne plus être seul devenait un impératif ». C’est donc le travail des connecteurs ou facilitateurs de créer en ce sens des propositions et de simplifier la vie des entrepreneurs sous des formes variées : meetup, founder dinner, master class, apéro, petit déjeuner permettent de manière régulière, rapide et libre une multitude de micros rencontres humaines qualifiées d’inspirantes tant au plan social qu’au plan intellectuel. Philippe Coste chez At Home en est très conscient : « Nous travaillons en permanence pour que notre communauté s’enrichisse au plus près de ses besoins et s’agrandisse. Nous accumulons des savoirs et des bonnes pratiques pour former une communauté travailleuse et bienveillante. Cela ne fait pas tout bien sûr, mais c’est un outil supplémentaire de réussite. Dans le domaine du DATA par exemple pour lequel nous avons un projet de soutien de la région, il est essentiel de gagner ensemble en valeur. Peut-être finirons-nous par devenir un jour une société savante, car nous savons que la culture sera déterminante à l’avenir ».

Dans une société hypermoderne, en recherche de sens et de cohérence, la mutualisation des intelligences comme la connaissance sont primordiales. Les favoriser devient une évidence car nous savons grâce à Hegel que : « Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol»[5]. Le philosophe signifiait par-là que la connaissance est souvent en retard sur l’immédiat des choses.

Prôner la voie de la Métamorphose

Deux grands penseurs du XXème siècle peuvent éclairer la vision du monde en train de se construire, que nous avons senti à l’oeuvre dans les espaces de travail collaboratif. La voie de la métamorphose que prône Edgard Morin[6] attentif aux ressorts créatifs des individus, pourrait faire écho aux mutations que nous avons identifiées. Du fait des problématiques communes qui les réunit et des solutions qu’ils expérimentent ensemble, le mouvement des entrepreneurs, pourraient-ils former à l’avenir une communauté de  destin que l’individualisme pensait démodée? Pour Morin, il est évident qu’une société ne peut progresser en complexité, en liberté, en autonomie et en communauté que si elle progresse en solidarité comme le stipulait déjà Ivan Illitch[7] au siècle dernier lorsqu’il privilégiait le retour de la convivialité.

Favoriser le retour de la convivialité ?

Pour lui, la relation conviviale était « le fait de personnes qui participent à la création de la vie sociale. Passer de la productivité à la convivialité, c’était substituer à une valeur technique une valeur éthique, à une valeur matérialisée, une valeur réalisée ».  Est-ce cette convivialité qui se développe chez les porteurs de projets accompagnés ? La société hypermoderne appelle donc une réforme de la connaissance qui va passer par une pensée de la « reliance », c’est-à-dire une pensée qui puisse relier les connaissances entre elles, relier les parties au tout puisque les mêmes problèmes à l’échelle de l’humanité nécessitent de s’allier, de dépendre les uns des autres pour les résoudre ainsi d’agir tant au plan local qu’au plan global. 

 

Vers une société de la connaissance

Marck Luyickx[8], prône une société de la connaissance portée par un système de pensée pour engendrer un système d’action. Ses caractéristiques tendraient à dépasser la matérialité des biens pour aller vers plus d’échange et de partage. Elles laisseraient place à l’éthique et à la transparence, proposerait des reconnexions et une recherche d’harmonie en vue d’annoncer l’heure du changement social. Est-ce ce qui est en train d’advenir ?

On prête volontiers à Gandhi cette maxime inspirante : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Dans les espaces de travail collaboratifs que nous avons visités, nous avons senti des émulations, des envies et des concentrations d’énergies pour proposer d’autres moyens d’œuvrer. Nous avons également senti des tensions, des manques de temps et des injonctions paradoxales. Sans en faire des sociétés idéales-types, nous pensons néanmoins qu’il y a dans la société de l’entreprendre aujourd’hui, des individus sinon des groupes vertueux qui ont foi dans le changement et qui participent à son éclosion confiants que « c’est en marchant que se fait le chemin »[9].

 

ESPRIT RH en collaboration avec SCRIB&Associés.

 

 Scrib & Associés est un cabinet d’études et de recherche en   sciences humaines appliquées. Il est dirigé par Bénédicte Rigou-   Chemin, Dr en anthropologie de l’EHESS. Il propose des études sociétales et de valorisation du patrimoine.

 

 

 [1] Le télétravail encore dénommé travail à domicile, e-travail ou travail nomade est une forme récente d’organisation du travail rendue possible par le développement des technologies de l’information et de la communication. Initiée par l’accord cadre européen du 16 juillet 2002, la réglementation concernant le télétravail a été transposée dans le droit français par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005, étendu par l’Arrêté du 30 mai 2006.

[2] Godelier.M. Au fondement des sociétés humaines, ce que nous apprend l’anthropologie, Albin Michel, 2007. P.98

[3] Laulan A.-M.. Michel Maffesoli Le temps des tribus, le déclin de l'individualisme dans les sociétés de masse . In: Communication et langages, n°76, 2ème trimestre 1988. pp. 120-121. http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1988_num_76_1_1049_t1_0120_0000_2

Maffesoli.M. Le temps des tribus, le déclin de l’individualisme dans les sociétés post-modernes, La Petite Vermillon, 1988.

[4]Godin. Seth, Tribu, Diateino, 2009

[5] Hegel.F.Principe de la philosophie du droit, Collection Gallimard, 1989

[6] Morin.E, La voie pour l’avenir de l’humanité, Pluriel, 2012 et Vers l’abîme, L’Herne, 2007

[7] Illitch.I, La convivialité, Points, 2014.p. 28

[8] Luyckx.M, Surgissement d’un monde nouveau. Valeurs, vision, économie, politique tout change. Alphée, 2010

[9] Machado.A poème intitulé Le voyageur.