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Blog / Infos
23/06/2017

POURQUOI L’AVANTAGE EST AUX START-UP ?

Pourquoi tant d’entreprises échouent-elles à répondre aux ruptures de leur environnement ? Comment peuvent-elles, au contraire, tirer avantage de la « disruption » ? 

Les entreprises sont plus désemparées que jamais face à ce phénomène. Mais il n’y a pas de fatalité à l’uberisation. Philippe Silberzahn, professeur à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique, confie en avant-première aux Echos Entrepreneurs des extraits de son ouvrage « Relevez le défi de l’innovation de rupture», qui paraît demain, 27 novembre 2015, dans lequel il analyse les enjeux de l’innovation de rupture, et propose des solutions concrètes pour que les entreprises en tirent parti.

 

Dans un monde tétanisé par l’uberisation, tout le monde semble d’accord pour dire que dans l’innovation de rupture, l’avantage va aux startups : plus agiles, plus rapides, elles sont mieux capables de saisir les nouvelles opportunités que les grandes entreprises, paralysées par leur taille. Or il n’en est rien. Si les startups ont effectivement l’avantage, cela n’est du ni à leur taille, ni à leur vitesse, mais à une différence de motivation et leur absence d’activité historique. Cette observation ouvre de réelles possibilités pour les grandes entreprises de pouvoir regagner l’avantage.

Un marché tout petit

Le premier avantage d’une start-up est qu’elle sera plus facilement motivée par les opportunités liées aux ruptures que les grandes entreprises pour une raison simple: ces opportunités correspondent initialement à des marchés de toute petite taille.
Plus une entreprise est grande, en effet, plus la taille des marchés qu’elle doit développer est importante. Imaginons qu’une grande entreprise se fixe comme objectif une croissance de 10 %. Elle cherche donc à identifier un marché nouveau dont elle pourrait prendre, par exemple, une part de 20 %. Si l’entreprise fait 1 million d’euros de chiffre d’affaires, elle doit augmenter son chiffre d’affaires de 100 000 euros, c’est-à-dire trouver un marché dont la taille est de 500 000 euros. Si elle fait 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle doit augmenter son chiffre d’affaires de 10 millions d’euros, c’est-à-dire trouver un marché dont la taille est de 50 millions d’euros. Si elle fait 10 milliards de chiffre d’affaires, elle doit augmenter son chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros, c’est-à-dire trouver un marché dont la taille est de 5 milliards d’euros. Plus une entreprise grandit, plus la taille minimum des marchés qui la motivent croît. Les petits marchés ne l’intéressent pas car, étant donné ses ressources (structure de coûts) et ses valeurs (objectifs de croissance pour satisfaire ses actionnaires), ceux-ci ne peuvent satisfaire ses besoins de croissance. C’est problématique, car toutes les ruptures correspondent au début à un tout petit marché, et celui-ci le reste parfois longtemps.

Une start-up, en revanche, est par définition toute petite au début. Imaginons qu’elle fasse 50 000 euros de chiffre d’affaires et que son objectif soit de le doubler. Si on reste sur l’hypothèse d’une part de marché gagnée de 20 %, elle doit donc trouver un nouveau marché de seulement 250 000 euros. De tels marchés, il en existe beaucoup. Elle sera donc motivée par des marchés de petite taille, et donc par les opportunités liées aux ruptures. On voit donc bien le fonctionnement de l’asymétrie de motivation. Les startups se précipitent sur les opportunités de rupture tandis que les grandes entreprises les rejettent car elle leurs semblent minuscules.

Pas d’historique à protéger

Le second avantage d’une start-up est lié à son absence d’historique : venant d’être créée, elle n’a par définition pas encore d’activité qu’il lui faudrait protéger. Ce n’est pas le cas de l’entreprise existante. Cette dernière est en effet confrontée à un dilemme : soit elle embrasse la rupture, auquel cas elle compromet son activité historique sans être certaine que la rupture mènera à quelque choses, soit elle patiente pour protéger son activité historique et elle risque de rater l’opportunité. Ainsi, Kodak était parfaitement au fait de la révolution numérique, et pour cause, l’entreprise américaine était l’inventeur du premier appareil photo numérique, mais elle n’a pas voulu prendre le risque de mettre en danger son activité de films argentique, très rentable. Résultat, elle a promu le numérique, mais sans réel effort, jusqu’à ce que l’argentique s’effondre, mais il était trop tard. Elle a aujourd’hui disparu.

L’avantage d’une start-up en situation de rupture n’est donc ni sa petite taille ni sa supposée agilité, contrairement à ce que l’on entend souvent ; ce qui fait sa force, c’est sa nouveauté, le fait qu’elle ne soit pas entravée par une activité historique, et qu’elle soit donc relativement libre de déterminer son modèle d’affaire pour qu’il soit conforme à l’opportunité considérée.

Des ressources différentes

On peut ajouter, dans le même ordre d’idées, que la possession de ressources rares et uniques, présentée par la pensée stratégique classique comme une condition de l’établissement d’un avantage concurrentiel durable, se retourne souvent contre l’acteur en place, car ces ressources peuvent perdre toute leur valeur en raison de la rupture. L’excellence des tubes à vide produits par GE dans les années 1950 ne sert plus à grand-chose à l’ère du transistor. À l’extrême, l’entreprise se retrouve prisonnière de la vision qu’elle a de la valeur de ses ressources. Comme l’observe mon confrère Frédéric Fréry (1), « si vous êtes convaincu que votre entreprise possède des ressources et un cœur de métier uniques, vous aurez très probablement tendance à les défendre et à en tirer parti – et à hésiter à mettre en œuvre toute innovation de rupture qui pourrait compromettre votre engagement stratégique ». En effet, les disrupteurs emploient généralement des ressources totalement différentes des acteurs en place. Dans la pharmacie, Pfizer et Sanofi s’appuient toutes deux sur la force de leur R&D, tandis qu’Accor et Hilton s’affrontent sur la base de leur parc hôtelier. En revanche, Airbnb disrupte le monde de l’hôtellerie sans posséder le moindre hôtel. Sa ressource clé est sa plateforme et sa communauté d’utilisateurs, ce qui rend très difficile pour Accor, par exemple, de réagir à son développement.

La solution … ?

On voit donc pourquoi, en situation de rupture, ce n’est pas l’acteur en place, ni nécessairement le nouvel entrant (ou l’attaquant, pour reprendre un vocabulaire guerrier courant) qui a nécessairement l’avantage, mais plutôt la start-up car elle est petite et n’a pas d’activité historique qui pourrait entrer en conflit avec l’opportunité de rupture. Cette observation pointe sur une solution possible pour les entreprises en place : si c’est la nouveauté qui permet de gagner, alors il faut loger l’activité en rupture… dans une startup, ou au moins dans une entité relativement autonome, pour lui redonner toutes ses chances. C’est ce qu’ont fait Nestlé avec Nespresso et Bouygues Télécom avec B&You notamment, avec le succès que l’ont connaît.

Source : Les Echos